EVES, pour aller plus loin...
- L'excision
- La prostitution
- Laissées pour morte
- Le procès de Bobigny
- La loi Veil
L’EXCISION
aussi appelée Mutilations Sexuelles Féminines (MSF) ou Mutilations Génitales Féminines (MGF), recouvre toutes les lésions et ablations (partielles ou totales) des organes sexuels externes féminins.
L’Organisation Mondiale de la Santé distingue 4 types de mutilations sexuelles féminines :
· La clitoridectomie : ablation partielle ou totale du clitoris.
· L’excision : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans ablation des grandes lèvres.
· L’infibulation : rétrécissement de l’orifice vaginal par ablation et accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans ablation du clitoris.
· Les formes non-classées de MSF : toutes les autres interventions nocives ou potentiellement nocives pratiquées sur les organes sexuels féminins à des fins non thérapeutiques.
Héritée de l'Egypte des pharaons, la pratique de l'excision se perpétue principalement dans 31 pays dont 29 pays d'Afrique, d’Asie, du Moyen-Orient mais aussi en Colombie et au Pérou. Sur les 31 pays concernés (pour lesquels nous avons des données) par les mutilations sexuelles féminines, 22 sont parmi les moins développés.
Dans le monde, 200 millions de femmes ont subi une mutilation sexuelle féminine. Aujourd’hui, plus de 4 millions de jeunes filles par an sont exposées au risque d’être excisées. Ce chiffre devra être revu à la hausse d’ici 2030 : l’épidémie de Covid-19 pourrait entraîner 2 millions de cas supplémentaires de mutilations sexuelles féminines (fermeture des écoles, baisse des revenus…).
· L’excision en France
Il y aurait environ 125 000 femmes adultes ayant subi une mutilation sexuelle féminine en France au milieu des années 2010.
· L’excision en Europe
D’après la même étude, il y aurait environ 530 000 femmes mutilées sexuellement vivant sur le territoire de l’Union Européenne, sachant qu’environ 1 femme excisée sur 2 vit en France ou au Royaume-Uni (pays avec le plus fort taux de flux migratoire).
Il est très difficile d’enrayer cette pratique, car elle est avant tout sociale et culturelle. Protéger la virginité avant le mariage, ne pas exclure la jeune fille de la communauté et respecter les préceptes religieux sont les raisons invoquées par ceux qui font perdurer cette tradition. Cette dernière n'ayant pas de fondement car aucun texte religieux n’impose cette mutilation.
44 millions de femmes excisées ont moins de 14 ans. Toutes les six minutes, une femme ou une enfant est touchée. Cette mutilation fait courir de graves risques d'hémorragies, souvent mortelles, ou de septicémie, tant les instruments sont rudimentaires et l'hygiène inexistante. Une mutilation génitale exécutée la plupart du temps sans anesthésie.
Malheureusement, les mutilations sexuelles féminines persistent parmi les communautés de la diaspora dans les pays où elles ne sont pas traditionnellement pratiquées (Europe, États-Unis, Canada et Australie).
Dans les sociétés où elles sont pratiquées, les Mutilations Sexuelles Féminines (MSF) reflètent l’inégalité entre les sexes et traduisent le contrôle exercé par la société sur les femmes.
De façon générale, il est important de comprendre que l’excision constitue une norme sociale pour les groupes qui la pratiquent.
En effet, d’après une étude de l’Unicef, les mutilations sexuelles féminines ne sont pas perçues comme dangereuses ou comme violant des droits humains. Au sein des groupes qui les perpétuent, elles représentent une étape dans la bonne éducation des jeunes filles, une forme de protection qui permet le mariage.
L’honneur familial et les normes sociales jouent un rôle très important dans la perpétuation des mutilations sexuelles féminines : même quand les familles sont conscientes des dangers de la pratique, elles craignent les jugements des autres et perpétuent alors l’excision.
Souvent, le désir de protéger les jeunes filles et la volonté de leur offrir le meilleur avenir possible (acceptation sociale, sécurité économique) sont les moteurs principaux de maintien de la pratique.
Puisque l’excision est une norme sociale, son abandon dépend aussi des attentes au sein d’une communauté donnée. Les parents soumettent leurs filles à l’excision pour leur garantir un avenir dans la société et parce qu’ils pensent que c’est ce que l’on attend d’eux.
Les programmes visant à mettre un terme aux mutilations sexuelles féminines doivent amener les communautés à décider collectivement d’abandonner la pratique, de façon à ce qu’aucune fille non excisée ne soit désavantagée, ni qu’elle, ou sa famille, ne se retrouve exclue.
Pour accompagner les communautés vers l’abandon de l’excision, les nombreux programmes (Unicef, ONG, MSF) qui incluent des activités d’éducation et favorisent l’autonomisation, en particulier des femmes, ont montré leur efficacité. C’est grâce à la discussion autour de la santé, des droits humains et de la religion que les communautés identifient, par elles-mêmes, les solutions pour mettre fin à l’excision. Elles ne sont ni jugées, ni contraintes, mais encouragées à débattre, examiner et remettre en perspective les valeurs et croyances associées aux mutilations sexuelles féminines.
Il est important que la démarche soit inclusive et associe femmes et hommes, filles et garçons. Les jeunes peuvent, par exemple, être sensibilisé⋅e⋅s dans le cadre d’activités menées en partenariat avec les établissements scolaires. Toutes les formes d’éducation peuvent être employées et le dialogue intergénérationnel doit, lui aussi, être encouragé.
L’abandon de l’excision à grande échelle n’est imaginable que s’il est décidé par une proportion suffisamment importante du groupe au sein duquel se nouent des mariages.
L’abandon des mutilations sexuelles féminines commence généralement par un premier groupe d’individus qui initie une dynamique de changement, produisant un effet multiplicateur. Ce groupe, prêt à abandonner la pratique, essayera donc de convaincre les autres de l’abandonner à leur tour, en faisant connaître leurs intentions d’abandonner la pratique.
Les mariages ne sont plus alors plus conditionnés à l’excision des filles et femmes. La décision d’abandon doit par ailleurs être explicite et publique, de façon à ce que les familles soient convaincues que la norme et les attentes qui y sont liées ont changé.
Un espoir pourtant se dessine. Le taux de mutilations est en régression. Les adolescentes sont largement moins touchées que leurs mères: 30%, voire 50% de moins dans certains pays comme le Bénin, la République centrafricaine, le Liberia ou le Nigeria.
Malgré cette tendance à la baisse depuis 30 ans, le pourcentage de femmes concernées reste alarmant dans de nombreux pays d’Afrique et du Moyen-Orient: Somalie (98%), Guinée (97%), Djibouti (93%) et Egypte (91%).
En Indonésie, trois fillettes sur quatre subissent l'ablation du clitoris avant l'âge de six mois.
LA PROSTITUTION
Il n'y a pas de définition officielle de la prostitution qui fasse consensus. La plus couramment admise est le fait de livrer son sexe et son corps à autrui contre de l'argent.
Dans les faits, c'est commercialiser de façon légale ou illégale des services et/ou des produits sexuels et d'exploiter le corps humain, plus particulièrement celui des femmes et des enfants, dans un but lucratif.
En France, selon les chiffres de la proposition de loi visant à sanctionner les clients de prostituées de 2013, 99 % des clients sont des hommes alors que 85 % des prostituées sont des femmes.
En 2012, on estime que 40 à 42 millions de personnes se prostituent dans le monde, neuf sur dix d'entre elles dépendent d'un proxénète et les trois quarts d'entre elles ont entre 13 et 25 ans. On estime à un à deux millions de femmes dans le monde qui sont vendues chaque année comme des objets sexuels pour la prostitution par des réseaux internationaux, la majeure partie venant de pays pauvres pour être exploitée notamment dans des pays riches.
En 2012, les revenus annuels de la prostitution sont estimés à plus de 187 milliards de dollars.
Un peu d'histoire
La prostitution s'est transformée à travers les âges en s'adaptant aux modifications géographiques et technologiques qui structurent les rapports sociaux. Aussi suit elle les méandres des évolutions de l'espace urbain, des mœurs, des comportements ou des arrêtés de police. Comme en témoignent plusieurs textes anciens, y compris la Bible, il semble qu'à diverses époques certaines femmes, ainsi que des jeunes hommes, offraient leurs charmes en échange de biens matériels ou de protection.
A partir du Moyen Âge, l'expansion du commerce, les guerres et les expéditions lointaines font que de plus en plus d'hommes doivent s'absenter de leurs foyers pour de longues périodes. Des bordels se mettent en place, visant à satisfaire les besoins des voyageurs et des soldats, tout en "protégeant" les femmes de la noblesse.
Avec l'intensification des mouvements migratoires des campagnes vers les villes et la concentration urbaine, la prostitution s'organise peu à peu et devient institution. Dès le milieu du XIIIe siècle, les "meretrix" sont des figures familières de la vie citadine. On les rencontre souvent sur les places, dans les rues, aux portes des églises et dans les tavernes. Elles sont souvent invitées aux noces et aux banquets...
L'application du Code Napoléon qui a cours lors de la première moitié du XIXe siècle considère la prostitution comme un mal nécessaire qui assure la tranquillité publique. Mais la révolution industrielle et l'exode rural entraînent une surpopulation dans les villes qui ne disposent pas de réseaux sanitaires adéquats. Vers le milieu du XIXe siècle, les maladies vénériennes, en particulier la syphilis, font partout des ravages. La prostitution devient un problème "sanitaire", un système fermé qui a ses lieux : la maison de tolérance, l'hôpital, la prison, l'établissement de relèvement.
Puis la maison close en devient le paradigme. On y rentre suite à son inscription sur le fichier de la police des mœurs.
Puis, la lutte politique contre la traite des femmes aboutit à des accords internationaux (accords sur la " traite des blanches " de 1904, 1910, 1921, 1933) et à des prises de position de la Société des Nations.
La loi "Marthe Richard", du nom de la conseillère municipale de Paris qui en fut l'inspiratrice, est votée en France en 1946. Elle interdit les maisons closes et, par extension, s'attaque à certaines formes de proxénétisme.
Au début des années 1960, la France se rallie aux thèses abolitionnistes en ratifiant la Convention de l'ONU de 1949. La sexualité est alors redéfinie juridiquement et les prostituées sont considérées comme des victimes souffrant de handicaps socioculturels.
Pourtant, pendant les guerres d'Indochine et d'Algérie et jusqu'à récemment, les BMC (Bordels Militaires de Campagnes), des lupanars ambulants, sont instaurés par les commandements militaires lors de la reconquête et emploient des femmes recrutées contractuellement. A l'ère de la construction européenne, tous les termes, toutes les positions entre les différents acteurs qui agissent dans ce champ semblent se renégocier.
La dure réalité de la prostitution
Les visages de la prostitution sont multiples : ce sont des victimes d'exploitation et de réseaux, des mères de famille en situation de précarité, des jeunes filles étudiantes, des enfants, des hommes... qui se prostituent dans la rue, sur internet, dans des bars, des saunas ou des salons de massage, sur le bord des routes... Les situations sont diverses.
La prostitution est un monde violent, un monde « où il faut constamment être sur ses gardes, où on apprend à vivre avec la peur, donc la peur devient un mode de fonctionnement » disent les personnes prostituées. Le danger y est constant. La violence sous toutes ses formes, de l'insulte à l'agression physique la plus grave, peut intervenir à n'importe quel moment.
Des chercheurs canadiens ont montré que les personnes prostituées couraient entre 60 et 120 fois plus de risques d'être battues ou assassinées que le grand public et qu'elles connaissaient un taux de mortalité 40 fois supérieur à la moyenne nationale.
Dans une étude australienne (où l'exercice de la prostitution est légalisé), 81% des personnes interrogées ont déclaré avoir subi des sévices sexuels pendant l'exercice de leur activité. A Glasgow, 94% des personnes prostituées de rue interrogées ont subi une agression sexuelle, 75% ont été violées par un client.
La prostitution est aujourd'hui un phénomène qui dépasse les frontières. Ce sont des flux d'êtres humains qui vont d'un pays à un autre, d'un continent à un autre pour être prostitués ou pour acheter du sexe.
En raison du développement des technologies numériques, les mécanismes de la prostitution se dématérialisent. Dorénavant, le racolage se fait par téléphone portable ; les réseaux sociaux servent d'espaces de rencontre pour sexe tarifé ; travers le monde passe par le recours systématique aux échanges numériques.
La société banalise le phénomène en l'affublant de surnoms charmants et d'une image glamour chatoyante. On parle de sugar babies, de sugar daddies... Ces formes d'euphémismes ne servent qu'à masquer la réalité d'un phénomène : le loverboy est un proxénète qui joue au petit copain amoureux pour mieux exploiter des adolescentes ; le sugar baby est une très jeune fille entretenue par un homme (ou une femme) d'âge mûr qui finance ses frais d'études, son logement, sa vie quotidienne....
Prostitution : ce que dit la loi en France
La loi pénalisant les clients des prostituées est parue au Journal officiel jeudi 14 avril 2016 et est entrée en vigueur dès ce jour. La loi a pour mesure principale la pénalisation des clients par une amende de 1 500 euros maximum. En cas de récidive, celle-ci pourrait s'élever jusqu'à 3 500 euros, avec mention dans le casier judiciaire
Le délit de racolage est quant à lui supprimé.
Quand le Gouvernement et les associations se félicitent de la mise en place de la loi, les travailleuses du sexe ne l'entendent pas ainsi. Premières concernées par cette décision, les prostituées n'ont pas été sollicitées dans les discussions autour de la loi.
Les ambiguïtés du régime français
"La politique de la France à l'égard du proxénétisme est claire. Elle est beaucoup plus ambiguë en ce qui concerne la prostitution", concluait la délégation aux droits des femmes du Sénat, dans son rapport sur Les Politiques Publiques et la Prostitution publié en 2001.
Formellement abolitionniste, la France ne considère pas la prostitution comme un délit.
Sous réserve que l'ordre public soit préservé, rien, dans la loi, n'interdit la prostitution, qui, encore une fois, est une activité libre. Mais la pratique des textes fait ressortir un régime de liberté, aléatoire et contrarié. Tout d'abord, la prostitution étant la condition préalable du proxénétisme, elle est étroitement surveillée car il faut la démontrer pour pouvoir inquiéter les proxénètes.
L'administration fiscale et la jurisprudence considèrent les revenus de la prostitution comme entrant dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), conformément à l'article 92 du Code général des impôts, lequel constitue la base légale d'imposition des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants. L'imposition est établie sur la totalité des revenus perçus. Les sommes rétrocédées le cas échéant aux proxénètes sont admises en déduction, étant toutefois précisé que l'absence de déclaration de ces sommes à l'administration par la personne se livrant à la prostitution entraîne l'application d'une amende égale à 50 % des sommes non déclarées.
Ces impôts sur le revenu ne font pas des prostituées des citoyennes à part entière. Elles n'ont pas de couverture sociale et le fait de cotiser ne leur donne droit ni aux ASSEDIC ni à une retraite.
Situation dans quelques états occidentaux
En Allemagne
L'Allemagne est réglementariste et a créé des "eros centers", sortes d'hypermarchés du sexe, construits dans des zones spéciales à la périphérie des grandes villes. Cette "industrie" légale est très rentable pour les financiers qui y investissent et pour l'Etat grâce aux taxes. Les prostituées sont soumises à un contrôle sanitaire régulier, sanctionné par des certificats de "bonne pour le service".
Aux Pays-Bas
Avec une volonté d'intégrer pleinement la prostitution dans la vie économique et sociale, au même titre qu'une autre activité, les Pays-Bas vont encore plus loin dans le réglementarisme. La gestion des lieux de passes incombe aux municipalités : les mairies signent des conventions avec les tenanciers qui comprennent des normes d'hygiène, de confort et de conditions de travail. Les prostituées sont des professionnelles ; elles sont recrutées par offres d'emploi officielles et peuvent suivre un cursus spécialisé pour apprendre les dessous du métier. Par ailleurs, elles adhérent à la plus puissante centrale syndicale du pays, catégorie "services publics". Les tenanciers, eux, sont des managers regroupés en une association qui défend leurs intérêts : l'Organisme pour la prostitution en vitrine.
En Californie, aux Etats-Unis
Depuis 1995, il existe une "école des clients", qui fait partie du Programme pour les délinquants primaires de la prostitution et dont le principe se fonde "sur le fait que la plupart des clients ne savent rien des réalités de la prostitution et de ce que ressentent les prostituées". Les clients interpellés ont le choix entre des travaux d'intérêt général ou une amende et une journée dans cette école des clients, où d'anciennes prostituées viennent leur expliquer leur point de vue, leur parler de leur vécu.
En Suède
Le Parlement a décidé de punir "l'achat de services sexuels". Depuis le 1er janvier 1999, le client est considéré comme un exploiteur, au même titre que le proxénète ; il est passible, au mieux d'une amende, au pire de six mois de prison. Il doit, dans tous les cas, suivre une psychothérapie. La prostituée n'est en revanche pas du tout poursuivie (pas de délit de racolage). Pour mettre en place cette politique, le gouvernement a débloqué plus de 10 millions d'euros (dont 3 millions pour la formation des policiers).
LAISSÉES POUR MORTE
Laissées pour mortes fait référence à plusieurs attaques particulièrement violentes sur des femmes résidant dans la ville de Hassi Messaoud en Algérie en juillet 2001.
Contexte
La ville de Hassi Messaoud est une ville pétrolière du centre de l'Algérie. Elle héberge environ 53 000 habitants. Diverses entreprises pétrolières s'y sont installées, la ville devenant un lieu où trouver potentiellement emploi et sécurité pour de nombreux Algériens. Cela entraîna entre autres la création de nombreux bidonvilles autour de la cité.
De nombreuses femmes ont émigré à Hassi Messaoud afin d'y assurer des tâches d'entretien, de secrétariat ou de restauration, dans les compagnies pétrolières, pour faire vivre leurs familles. Les femmes travaillant mais surtout vivant seules dans une région très traditionnelle, sont accusées par les habitants des quartiers, d'avoir un « double emploi », travaillant en entreprise le jour, se prostituant le soir, dans une région frappée par le chômage masculin. Avant les événements, plusieurs femmes avaient fait l'objet d'insultes, certaines se faisant physiquement agresser.
Les faits
Pendant la prière du vendredi 13 juillet 2001, l'imam, qualifié d'intégriste, s'en prend à la présence des femmes venues des régions du nord-ouest travaillant maintenant dans les compagnies pétrolières. Il les accuse de comportements « immoraux », appelant à un « Jihad contre le diable » afin de « chasser ces femmes fornicatrices ». Selon lui, des femmes vivant seules, sans aucun « wali » (homme gardien de la tradition maliki), ne peuvent être que des prostituées.
Dans la nuit du 13 au 14 juillet, vers 22 heures, une foule de 300 hommes environ prend alors la direction du bidonville El-Haïcha où résident des femmes employées comme femmes de ménage, cuisinières ou secrétaires. Pendant 5 heures, une quarantaine de femmes du quartier sont agressées, rouées de coups, violées, mutilées et traînées nues dans la rue et enterrées vivantes. Leurs maisons sont pillées et pour certaines, brûlées. Certains des agresseurs portaient des armes blanches. La police (3 policiers) n'arriva sur place que vers 3 heures du matin, mettant fin aux violences.
Celles-ci se répètent la nuit suivante, puis le 16 juillet dans d'autres quartiers de la ville. Le 17, puis les 23 et 24, les violences s'étendirent à la ville de Tébessa, plus au nord, où des commerces détenus par des femmes seules furent vandalisés.
Plusieurs dizaines de femmes furent hospitalisées, dont 6 étaient à ce moment dans un état sérieux. 95 femmes et enfants trouvèrent refuge dans l'auberge de jeunesse. D'autres prirent des taxis afin de quitter la ville et retourner dans leur région d'origine. Trois des jeunes femmes violées étaient vierges au moment des faits. Le journal La Tribune parle de 4 à 6 décès, ce que les autorités réfutent. Des témoins disent avoir vu plusieurs femmes mortes.
Le procès
Selon le journal La Tribune, l'imam Amar Taleb auteur du discours déclencheur fut arrêté, ainsi que 40 hommes ayant pris part aux violences. Le Matin confirme lui 9 arrestations.
39 femmes ont décidé de porter plainte. En première instance, en juin 2004, aucune des victimes n'avait pu avoir recours à un avocat, ni même ceux promis par le ministère de la Solidarité. La plupart des charges retenues contre les 32 agresseurs jugés furent levées, ne retenant que « l'attroupement sur la voie publique et atteinte à l'ordre public ». Le procès en appel devait se dérouler en décembre 2004, mais fut reporté à janvier 2005, à la cour de Biskra, afin de permettre à tous les accusés d'être présents au procès. À la réouverture du procès, seuls six des accusés sont présents, faisant face à trois des victimes. Sous les pressions et les menaces (à l'intérieur même du tribunal lors du premier procès), les autres femmes avaient abandonné les poursuites. Des peines de prison de huit, six et trois ans ont été prononcées pour trois des accusés présents, les trois autres étant acquittés. La plupart des agresseurs a été condamnés à des peines par contumace : vingt condamnations à vingt ans, quatre à dix ans et une à cinq ans. Trois condamnés seulement auraient effectué leur peine.
L'imam à l’origine du prêche déclencheur lui a été promu et sévit toujours dans la plus grande mosquée de la ville.
LE PROCÈS DE BOBIGNY
Le procès de Bobigny est un procès pour avortement qui s'est tenu en octobre et novembre 1972 à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Cinq femmes y furent jugées : une jeune fille mineure — Marie-Claire Chevalier — qui avait avorté après un viol et quatre femmes majeures, dont sa mère, ses collègues Lucette Dubouchet, Renée Sausset et Micheline Bambuck pour complicité ou pratique de l'avortement. Ce procès, dont la défense fut assurée par l'avocate Gisèle Halimi, eut un énorme retentissement et contribua à l'évolution vers la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse en France.
Violée par un garçon de son lycée à l'automne 1971, Marie-Claire, 16 ans, est enceinte. Elle refuse de mener à terme cette grossesse et demande à sa mère Michèle de l'aider. Michèle Chevalier est une modeste employée de la RATP. Elle élève seule ses trois filles de 16, 15 et 14 ans, après avoir été abandonnée par leur père qui ne les avait pas reconnues. Elle gagne alors 1500 francs par mois.
Le gynécologue qui confirme le diagnostic de la grossesse ne refuse pas d'avorter la jeune fille, mais il demande 4 500 francs, soit trois mois de salaire de la mère qui décide alors de faire appel à une faiseuse d'anges. Celle-ci demande alors de l'aide à sa collègue Lucette Dubouchet, qui à son tour sollicite Renée Sausset. Elles s'adressent à une autre collègue, Micheline Bambuck, malade, veuve avec trois enfants et s'étant déjà elle-même avortée dans le passé.
Quelques semaines plus tard, Daniel P., le violeur de la jeune fille, soupçonné d'avoir participé à un vol de voitures, est arrêté. Et il dénonce Marie-Claire dans l'espoir que les policiers le laissent tranquille. Plusieurs policiers se rendent alors au domicile de Michèle Chevalier et la menacent de prison pour elle et sa fille si elle n'avoue pas, ce qu'elle fait alors immédiatement.
Michèle et Marie-Claire Chevalier, et les trois collègues de Michèle sont alors inculpées.
La mère trouve à la bibliothèque le livre Djamila Boupacha écrit par l'avocate Gisèle Halimi, sur la militante algérienne violée et torturée par des soldats français. Les femmes poursuivies contactent l'avocate, qui accepte de les défendre.
Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, qui préside l'association féministe « Choisir », décident, avec l'accord des inculpées, de mener un procès politique de l'avortement : loin de demander pardon pour l'acte commis, la défense attaquera l'injustice de la loi de 1920, d'autant qu'alors que les Françaises qui le peuvent partent en Suisse ou en Grande-Bretagne pour avorter, les plus pauvres doivent le faire en France dans la clandestinité et des conditions sanitaires souvent déplorables.
La première fois qu'elle se trouve devant le juge d'instruction, Michèle Chevalier proteste : « Mais, monsieur le juge, je ne suis pas coupable ! C'est votre loi qui est coupable ! » Le juge lui ordonne de se taire sous peine d'une deuxième inculpation pour outrage à magistrat.
Le 19 octobre 1972, le quotidien communiste L'Humanité met comme surtitre « Marie-Claire » sur chacun de ses articles en lien avec l'affaire. Ensuite, les autres journaux relatent fréquemment l'ensemble des informations relatives au procès comme étant « l'affaire Marie-Claire ». L'utilisation de son prénom la protège tout en permettant une certaine « familiarité, presque un signe de reconnaissance ». La presse, y compris le journal La Croix, fait d'elle une héroïne bien malgré elle. Le Figaro du 23 novembre 1972, fait sa « une » sur « l’avortement en question » et fait témoigner un médecin, le professeur Paul Milliez et un prêtre, Michel Riquet. Pour eux, l'avortement devient nécessaire parfois, lorsqu’il s’agit de sauver la vie de la mère. Le lendemain du procès, France-Soir a publié à la une la photo du professeur Milliez avec en titre « J'aurais accepté d'avorter Marie-Claire »
Procès
L'affaire est scindée du fait que Marie-Claire Chevalier est mineure : avant le procès des quatre majeures, la jeune fille est envoyée seule devant le tribunal pour enfants de Bobigny, à huis clos, le 11 octobre 1972. Gisèle Halimi évoque la foule dehors qui, pendant qu'elle plaidait, scandait des slogans comme « L'Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres ! ». Une manifestation du MLF et de Choisir avait été organisée quelques jours plus tôt, et brutalement réprimée sur consigne du ministre de l'Intérieur, Raymond Marcellin. « La presse, qui avait été témoin des brutalités, a fait un large écho à la manifestation et ainsi, on a commencé à parler de Marie-Claire ». Des militantes féministes ont aussi distribué des tracts les jours suivants.
Pendant l'audience, le procureur émet des doutes sur la réalité du viol de la jeune fille, s'étonnant qu'elle ne soit pas allée le signaler à la police. On essaie aussi de faire dire à Marie-Claire que sa mère l'a obligée à avorter, ce qu'elle dément : « J'étais une écolière et à mon âge, je ne me sentais pas du tout la possibilité ou l'envie d'avoir un enfant… »
Après le huis clos du procès, le jugement est rendu en audience publique –Marie-Claire est relaxée, parce qu'elle est considérée comme ayant souffert de « contraintes d'ordre moral, social, familial, auxquelles elle n'avait pu résister ».
« C'était à la fois courageux, tout à fait nouveau sur le plan de la jurisprudence et suffisamment ambigu pour que tous les commentaires puissent aller leur train », commente l'avocate.
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Stratégie : un procès politique
Avec l'accord des prévenues, leur avocate Gisèle Halimi a donc choisi de faire du procès une tribune.
L'audience se tient le 8 novembre 1972, de 13 heures à 22 heures.
De nombreuses personnalités viennent défendre les inculpées : le scientifique et académicien Jean Rostand, les Prix Nobel et biologistes Jacques Monod et François Jacob, des comédiennes comme Delphine Seyrig et Françoise Fabian, des hommes politiques comme Michel Rocard, des personnalités engagées des lettres comme Aimé Césaire, Simone de Beauvoir… Le professeur Paul Milliez, médecin et catholique fervent, affirme à la barre que dans une telle situation, « il n'y avait pas d'autre issue honnête ». « Je ne vois pas pourquoi nous, catholiques, imposerions notre morale à l'ensemble des Français », déclare-t-il. Ses propos en faveur des accusées lui valent en novembre 1972 un blâme du conseil national de l'ordre des médecins. Et quelques mois plus tard, ils lui vaudront de ne pas être admis à l'Académie de médecine.
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Verdict
Michèle Chevalier est condamnée à 500 francs d'amende avec sursis. Elle fait appel de ce jugement, mais « le ministère public a volontairement laissé passer le délai de 3 ans sans fixer l'affaire à l'audience de la cour d'appel, ce qui entraîne la prescription. Elle n'a donc jamais été condamnée ».
Lucette Dubouchet et Renée Sausset, qui ont pourtant revendiqué le droit d'avoir aidé Chevalier, sont relaxées, le tribunal jugeant qu'elles ne sont pas complices parce qu'elles n'auraient pas eu « des rapports directs avec Marie-Claire ». Micheline Bambuck est condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir pratiqué l'avortement, peine assortie d'une amende.
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Impact du procès
Le réquisitoire du procureur de Bobigny commence par un rappel aux journalistes présents de l'article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, interdisant la publication des débats d'avortement. La lecture du texte de loi par le procureur n'a aucun effet sur les journalistes. Françoise Giroud dans L'Express met même au défi qu'on la poursuive à la fin de son article. Aucun journaliste n'est inquiété.
Le mouvement Choisir publie juste après le procès, en poche chez Gallimard : « Avortement : Une loi en procès : L'affaire de Bobigny », préfacé par Simone de Beauvoir. Ce livre est une transcription intégrale de l'audience. En quelques semaines et sans publicité, plus de 30 000 exemplaires sont vendus.
Le procès de Bobigny suscite commentaires et débats dans tout le pays. Des centaines d'articles, de flashes ou d'émissions sur les radios et télévisions sont consacrés à l'affaire. Le greffe de Bobigny reçoit dans les jours qui précèdent le procès, des lettres, pétitions et télégrammes demandant la relaxe des inculpées. Le ministre de la Santé publique, et ancien garde des sceaux Jean Foyer s'insurge dans Ouest France : « Si on admet que l'avortement est une chose normale et licite, il n'y a plus de raison de s'arrêter ... et il n'y a pas de raison pour qu'on n'en arrive pas aux extrémités, qu'avec juste raison, on a considérées comme étant les plus odieuses sous le régime hitlérien».
Le 9 janvier 1973, le président de la République, Georges Pompidou, questionné sur l'avortement lors d'une conférence de presse, admet que la législation en vigueur est dépassée, tout en déclarant que l'avortement le « révulse ». Il demande qu'une fois les élections passées, le débat sur la contraception et l'avortement s'ouvre avec les ensembles des représentants de la société (parlementaires, autorités religieuses, corps médical).
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Évolution judiciaire
La sensibilisation sur ce sujet fait son chemin chez les magistrats eux-mêmes : de 518 condamnations pour avortement en 1971, on passe à 288 en 1972, puis à quelques dizaines en 1973.
Le retentissement considérable du procès a contribué à l'évolution qui aboutira en 1975 à la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse.
LA LOI VEIL
C'était le 26 novembre 1974. Devant l'Assemblée nationale, Simone Veil, présentait en tant que ministre de la Santé un projet de loi légalisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Un discours resté célèbre dont voici la retranscription intégrale.
"Monsieur le président, mesdames, messieurs,
Si j'interviens aujourd'hui à cette tribune, ministre de la Santé, femme et non parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde modification de la législation sur l'avortement, croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble.
Mais c'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du président de la République, a pour objet de 'mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps'.
Si le gouvernement peut aujourd'hui vous présenter un tel projet, c'est grâce à tous ceux d'entre vous – et ils sont nombreux et de tous horizons – qui, depuis plusieurs années, se sont efforcés de proposer une nouvelle législation, mieux adaptée au consensus social et à la situation de fait que connaît notre pays.
C'est aussi parce que le gouvernement de M. Messmer avait pris la responsabilité de vous soumettre un projet novateur et courageux. Chacun d'entre nous garde en mémoire la très remarquable et émouvante présentation qu'en avait faite M. Jean Taittinger.
C'est enfin parce que, au sein d'une commission spéciale présidée par M. Berger, nombreux sont les députés qui ont entendu, pendant de longues heures, les représentants de toutes les familles d'esprit, ainsi que les principales personnalités compétentes en la matière.
Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ?
Pourtant, d'aucuns s'interrogent encore : une nouvelle loi est-elle vraiment nécessaire ? Pour quelques-uns, les choses sont simples : il existe une loi répressive, il n'y a qu'à l'appliquer. D'autres se demandent pourquoi le Parlement devrait trancher maintenant ces problèmes : nul n'ignore que depuis l'origine, et particulièrement depuis le début du siècle, la loi a toujours été rigoureuse, mais qu'elle n'a été que peu appliquée.
En quoi les choses ont-elles donc changé, qui oblige à intervenir ? Pourquoi ne pas maintenir le principe et continuer à ne l'appliquer qu'à titre exceptionnel ? Pourquoi consacrer une pratique délictueuse et, ainsi, risquer de l'encourager ? Pourquoi légiférer et couvrir ainsi le laxisme de notre société, favoriser les égoïsmes individuels au lieu de faire revivre une morale de civisme et de rigueur ? Pourquoi risquer d'aggraver un mouvement de dénatalité dangereusement amorcé au lieu de promouvoir une politique familiale généreuse et constructive qui permette à toutes les mères de mettre au monde et d'élever les enfants qu'elles ont conçus ?
Parce que tout nous montre que la question ne se pose pas en ces termes. Croyez-vous que ce gouvernement, et celui qui l'a précédé se seraient résolus à élaborer un texte et à vous le proposer s'ils avaient pensé qu'une autre solution était encore possible ?
Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder leurs responsabilités. Tout le démontre : les études et les travaux menés depuis plusieurs années, les auditions de votre commission, l'expérience des autres pays européens. Et la plupart d'entre vous le sentent, qui savent qu'on ne peut empêcher les avortements clandestins et qu'on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs.
Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu'elle est déplorable et dramatique.
Elle est mauvaise parce que la loi est ouvertement bafouée, pire même, ridiculisée. Lorsque l'écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est tel qu'il n'y a plus à proprement parler de répression, c'est le respect des citoyens pour la loi, et donc l'autorité de l'Etat, qui sont mis en cause.
Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement, lorsque les parquets, avant de poursuivre, sont invités à en référer dans chaque cas au ministère de la Justice, lorsque des services sociaux d'organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter une interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charter des voyages à l'étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d'anarchie qui ne peut plus continuer.
Mais ? me direz-vous, pourquoi avoir laissé la situation se dégrader ainsi et pourquoi la tolérer ? Pourquoi ne pas faire respecter la loi ?
Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certain nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c'est bien qu'ils s'y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu'ils ne peuvent méconnaître. Parce qu'en face d'une femme décidée à interrompre sa grossesse, ils savent qu'en refusant leur conseil et leur soutien ils la rejettent dans la solitude et l'angoisse d'un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils savent que la même femme, si elle a de l'argent, si elle sait s'informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni aucune pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300.000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames.
Une conviction de femme
C'est à ce désordre qu'il faut mettre fin. C'est cette injustice qu'il convient de faire cesser. Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager ?
Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme – je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qu se trouvent dans cette situation d’angoisse, si bien décrite et analysée par certaines des personnalités que votre commission spéciale a entendues au cours de l’automne 1973. Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation ce détresse, qui s’en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l’opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l’anonymat et l’angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection.
Parmi ceux qui combattent aujourd’hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d’aider ces femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui au-delà de ce qu’ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l’appui moral dont elles avaient grand besoin ?
Je sais qu’il en existe et je me garderai de généraliser. Je n’ignore pas l’action de ceux qui, profondément conscients de leurs responsabilités, font tout ce qui est à leur portée pour permettre à ces femmes d’assumer leur maternité. Nous aiderons leur entreprise ; nous ferons appel à eux pour nous aider à assurer les consultations sociales prévues par la loi. Mais la sollicitude et l’aide, lorsqu’elles existent, ne suffisent pas toujours à dissuader. Certes, les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes sont parfois moins grave qu’elles ne les perçoivent. Certaines peuvent être dédramatisées et surmontées ; mais d’autres demeurent qui font que certaines femmes se sentent acculées à une situation sans autre issue que le suicide, la ruine de leur équilibre familial ou le malheur de leurs enfants. C’est là, hélas ! la plus fréquente des réalités, bien davantage que l’avortement dit "de convenance". S’il n’en était pas ainsi, croyez-vous que tous les pays, les uns après les autres, auraient été conduits à réformer leur législation en la matière et à admettre que ce qui était hier sévèrement réprimé soit désormais légal ?
Ainsi, conscient d’une situation intolérable pour l’Etat et injuste aux yeux de la plupart, le gouvernement a renoncé à la voie de la facilité, celle qui aurait consisté à ne pas intervenir. C’eût été cela le laxisme. Assumant ses responsabilités, il vous soumet un projet de loi propre à apporter à ce problème une solution à la fois réaliste, humaine et juste. Certains penseront sans doute qu notre seule préoccupation a été l’intérêt de la femme, que c’est un texte qui a été élaboré dans cette seule perspective. Il n’y est guère question ni de la société ou plutôt de la nation, ni du père de l’enfant à naître et moins encore de cet enfant. Je me garde bien de croire qu’il s’agit d’une affaire individuelle ne concernant que la femme et que la nation n’est pas en cause. Ce problème la concerne au premier chef, mais sous des angles différents et qui ne requièrent pas nécessairement les mêmes solutions.
L’intérêt de la nation, c’est assurément que la France soit jeune, que sa population soit en pleine croissance. Un tel projet, adopté après une loi libéralisant la contraception, ne risque-t-il pas d’entraîner une chute importante de notre taux de natalité qui amorce déjà une baisse inquiétante ? Ce n’est là ni un fait nouveau, ni une évolution propre à la France : un mouvement de baisse assez régulier des taux de natalité et de fécondité est apparu depuis 1965 dans tous les pays européens, quelle que soit leur législation en matière d’avortement ou même de contraception. Il serait hasardeux de chercher des causes simples à un phénomène aussi général. Aucune explication ne peut y être apportée au niveau national. Il s’agit d’un fait de civilisation révélateur de l’époque que nous vivons et qui obéit à des règles complexes que d’ailleurs nous connaissons mal. Les observations faites dans de nombreux pays étrangers par les démographes ne permettent pas d’affirmer qu’il existe une corrélation démontrée entre une modification de la législation de l’avortement et l’évolution des taux de natalité et surtout de fécondité. Il est vrai que l’exemple de la Roumanie semble démentir cette constatation, puisque la décision prise par le gouvernement de ce pays, à la fin de l’année 1966, de revenir sur des dispositions non répressives adoptées dix ans plus tôt a été suivie d’une forte explosion de natalité. Cependant, ce qu’on omet de dire, c’est qu’une baisse non moins spectaculaire s’est produite ensuite et il est essentiel de remarquer que dans ce pays, où n’existait aucune forme de contraception moderne, l’avortement a été le mode principal de limitation des naissances.
L’intervention brutale d’une législation restrictive explique bien dans ce contexte un phénomène qui est demeuré exceptionnel et passager. Tout laisse à penser que l’adoption du projet de loi n’aura que peu d’effets sur le niveau de fatalité en France, les avortements légaux remplaçant en fait les avortements clandestins, une fois passée une période d’éventuelles oscillations à court terme. Il n’en reste pas moins que la baisse de notre natalité, si elle est indépendante de l’état de la législation sur l’avortement, est un phénomène inquiétant, à l’égard duquel les pouvoirs publics ont l’impérieux devoir de réagir.
Un acte d’une nature particulière
Une des premières réunions du conseil de planification que présidera le président de la République va être consacrée à un examen d’ensemble des problèmes de la démographie française et des moyens de mettre un frein à une évolution inquiétante pour l’avenir du pays. Quant à la politique familiale, le gouvernement a estimé qu’il s’agissait d’un problème distinct de celui de la législation sur l’avortement et qu’il n’y avait pas lieu de lier ces deux problèmes dans la discussion législative.
Cela ne signifie pas qu’il n’y attache pas une extrême importance. Dès vendredi, l’Assemblée aura à délibérer d’un projet de loi tendant à améliorer très sensiblement les allocations servies en matière des frais de garde et les allocations dites d’orphelin, qui sont notamment destinées aux enfants des mères célibataires. Ce projet réformera, en outre, le régime de l’allocation maternité et les conditions d’attribution des prêts aux jeunes ménages.
En ce qui me concerne, je m’apprête à proposer à l’Assemblée divers projets. L’un d’entre eux tend à favoriser l’action des travailleuses familiales en prévoyant leur intervention éventuelle au titre de l’aide sociale. Un autre a pour objet d’améliorer les conditions de fonctionnement et de financement des centres maternels, où sont accueillies les jeunes mères en difficulté pendant leur grossesse et les premiers mois de la vie de leur enfant. J’ai l’intention de faire un effort particulier pour la lutte contre la stérilité, par la suppression du ticket modérateur pour toutes les consultations en cette matière. D’autre part, j’ai demandé à l’Inserm de lancer, dès 1975, une action thématique de recherche sur ce problème de la stérilité qui désespère tant de couples. Avec M. le garde des Sceaux, je me prépare à tirer les conclusions du rapport que votre collègue, M. Rivierez, parlementaire en mission, vient de rédiger sur l’adoption.
Répondant aux vœux de tant de personnes qui souhaitent adopter un enfant, j’ai décidé d’instituer un Conseil supérieur de l’adoption qui sera chargé de soumettre aux pouvoirs publics toutes suggestions utiles sur ce problème. Enfin et surtout, le gouvernement s’est publiquement engagé, par la voix de M. Durafour, à entamer dès les toutes prochaines semaines avec les organisations familiales la négociation d’un contrat de progrès dont le contenu sera arrêté d’un commun accord avec les représentants des familles, sur la base de propositions qui seront soumises au Conseil consultatif de la famille que je préside.
En réalité, comme le soulignent tous les démographes, ce qui importe, c’est de modifier l’image que se font les Français du nombre idéal d’enfants par couple. Cet objectif est infiniment complexe et la discussion de l’avortement ne saurait se limiter à des mesures financières nécessairement ponctuelles.
Le second absent dans ce projet pour beaucoup d’entre vous sans doute, c’est le père. La décision de l’interruption de grossesse ne devrait pas, chacun le ressent, être prise par la femme seule, mais aussi par son mari ou son compagnon. Je souhaite, pour ma part, que dans les faits il en soit toujours ainsi et j’approuve la commission de nous avoir proposé une modification en ce sens ; mais, comme elle l’a fort bien compris, il n’est pas possible d’instituer en cette matière une obligation juridique.
Enfin, le troisième absent, n’est-ce pas cette promesse de vie que porte en elle la femme ? Je me refuse à entrer dans les discussions scientifiques et philosophiques dont les auditions de la commission ont montré qu’elles posaient un problème insoluble. Plus personne ne conteste maintenant que, sur un plan strictement médical, l’embryon porte en lui définitivement toutes les virtualités de l’être humain qu’il deviendra. Mais il n’est encore qu’un devenir, qui aura à surmonter bien des aléas avant de venir à terme, un fragile chaînon de la transmission de la vie. Faut-il rappeler que, selon les études de l’Organisation mondiale de la santé, sur cent conceptions, quarante-cinq s’interrompent d’elles-mêmes au cours des deux premières semaines et que, sur cent grossesses au début de la troisième semaine, un quart n’arrivent pas à terme, du seul fait de phénomènes naturels ?
La seule certitude sur laquelle nous puissions nous appuyer, c’est le fait qu’une femme ne prend pleine conscience qu’elle porte un être vivant qui sera un jour son enfant que lorsqu’elle ressent en elle les premières manifestations de cette vie. Et c’est, sauf pour les femmes qu’anime une profonde conviction religieuse, ce décalage entre ce qui n’est qu’un devenir pour lequel la femme n’éprouve pas encore de sentiment profond et ce qu’est l’enfant dès l’instant de sa naissance qui explique que certaines, qui repousseraient avec horreur l’éventualité monstrueuse de l’infanticide, se résignent à envisager la perspective de l’avortement. Combien d’entre nous, devant le cas d’un être cher dont l’avenir serait irrémédiablement compromis, n’ont pas eu le sentiment que les principes devaient parfois céder le pas ! Il n’en serait pas de même – c’est évident – si cet acte était véritablement perçu comme un crime analogue aux autres.
Certains, parmi ceux qui ont les plus opposés au vote de ce projet, acceptent qu’en fait on n’exerce plus de poursuites et s’opposeraient même avec moins de vigueur au vote d’un texte qui se bornerait à prévoir la suspension des poursuites pénales. C’est donc qu’eux-mêmes perçoivent qu’il s’agit là d’un acte d’une nature particulière, ou, en tout cas, d’un acte qui appelle une solution spécifique. L’Assemblée ne m’en voudra pas d’avoir abordé longuement cette question. Vous sentez tous que c’est là un point essentiel, sans doute, le fond même du débat. Il convenait de l’évoquer avant d’en venir à l’examen du contenu du projet.
Dans la solitude ou dans l’angoisse
En préparant le projet qu’il vous soumet aujourd’hui, le gouvernement s’est fixé un triple objectif : faire une loi réellement applicable ; faire une loi dissuasive ; faire une loi protectrice. Ce triple objectif explique l’économie du projet. Une loi applicable d’abord. Un examen rigoureux des modalités et des conséquences de la définition de cas dans lesquels serait autorisée l’interruption de grossesse révèle d’insurmontables contradictions. Si ces conditions sont définies en termes précis – par exemple, l’existence de graves menaces pour la santé physique ou mentale de la femme, ou encore, par exemple, les cas de viol ou d’inceste vérifiés par un magistrat –, il est clair que la modification de la législation n’atteindra pas son but quand ces critères seront réellement respectés, puisque la proportion d’interruptions de grossesse pour de tels motifs est faible. Au surplus, l’appréciation de cas éventuels de viol ou d’inceste soulèverait des problèmes de preuve pratiquement insolubles dans un délai adapté à la situation. Si, au contraire, c’est une définition large qui est donnée – par exemple, le risque pour la santé physique ou l’équilibre psychologique ou la difficulté des conditions matérielles ou morales d’existence –, il est clair que les médecins ou les commissions qui seraient chargés de décider si ces conditions sont réunies auraient à prendre leur décision sur la base de critères insuffisamment précis pour être objectifs.
Dans de tels systèmes, l’autorisation de pratiquer l’interruption de grossesse n’est en pratique donnée qu’en fonction des conceptions personnelles des médecins ou des commissions en matière d’avortement et ce sont les femmes les moins habiles à trouver le médecin le plus compréhensif ou la commission la plus indulgente qui se trouveront encore dans une situation sans issue. Pour éviter cette injustice, l’autorisation est donnée dans bien des pays de façon quasi automatique, ce qui rend une telle procédure inutile, tout en laissant à elles-mêmes un certain nombre de femmes qui ne veulent pas encourir l’humiliation de se présenter devant une instance qu’elles ressentent comme un tribunal.
Or, si le législateur est appelé à modifier les textes en vigueur, c’est pour mettre fin aux avortements clandestins qui sont le plus souvent le fait de celles qui, pour des raisons sociales, économiques ou psychologiques, se sentent dans une telle situation de détresse qu’elles sont décidées à mettre fin à leur grossesse dans n’importe quelles conditions. C’est pourquoi, renonçant à une formule plus ou moins ambiguë ou plus ou moins vague, le gouvernement a estimé préférable d’affronter la réalité et de reconnaître qu’en définitive la décision ultime ne peut être prise que par la femme.
Remettre la décision à la femme, n’est-ce pas contradictoire avec l’objectif de dissuasion, le deuxième des trois que s’assigne ce projet ?
Ce n’est pas un paradoxe que de soutenir qu’une femme sur laquelle pèse l’entière responsabilité de son geste hésitera davantage à l’accomplir que celle qui aurait le sentiment que la décision a été prise à sa place par d’autres.
Le gouvernement a choisi une solution marquant clairement la responsabilité de la femme parce qu’elle est plus dissuasive au fond qu’une autorisation émanant d’un tiers qui ne serait ou ne deviendrait vite qu’un faux-semblant.
Ce qu’il faut, c’est que cette responsabilité, la femme ne l’exerce pas dans la solitude ou dans l’angoisse.
Tout en évitant d’instituer une procédure qui puisse la détourner d’y avoir recours, le projet prévoit donc diverses consultations qui doivent la conduire à mesurer toute la gravité de la décision qu’elle se propose de prendre.
Le médecin peut jouer ici un rôle capital, d’une part, en informant complètement la femme des risques médicaux de l’interruption de grossesse qui sont maintenant bien connus, et tout spécialement des risques de prématurité de ses enfants futurs, et, d’autre part, en la sensibilisant au problème de la contraception.
Cette tâche de dissuasion et de conseil revient au corps médical de façon privilégiée et je sais pouvoir compter sur l’expérience et le sens de l’humain des médecins pour qu’ils s’efforcent d’établir au cours de ce colloque singulier le dialogue confiant et attentif que les femmes recherchent, parfois même inconsciemment.
Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir
Le projet prévoit ensuite une consultation auprès d’un organisme social qui aura pour mission d’écouter la femme, ou le couple lorsqu’il y en a un, de lui laisser exprimer sa détresse, de l’aider à obtenir des aides si cette détresse est financière, de lui faire prendre conscience de la réalité des obstacles qui s’opposent ou semblent s’opposer à l’accueil d’un enfant. Bien des femmes apprendront ainsi à l’occasion de cette consultation qu’elles peuvent accoucher anonymement et gratuitement à l’hôpital et que l’adoption éventuelle de leur enfant peut constituer une solution.
Il va sans dire que nous souhaitons que ces consultations soient le plus diversifiées possible et que, notamment, les organismes qui se sont spécialisés pour aider les jeunes femmes en difficulté puissent continuer à les accueillir et à leur apporter l’aide qui les incite à renoncer à leur projet. Tous ces entretiens auront naturellement lieu seul à seule, et il est bien évident que l’expérience et la psychologie des personnes appelées à accueillir les femmes en détresse pourront contribuer de façon non négligeable à leur apporter un soutien de nature à les faire changer d’avis. Ce sera, en outre, une nouvelle occasion d’évoquer avec la femme le problème de la contraception et la nécessité, dans l’avenir, d’utiliser des moyens contraceptifs pour ne plus jamais avoir à prendre la décision d’interrompre une grossesse pour les cas où la femme ne désirerait pas avoir d’enfant. Cette information en matière de régulation des naissances – qui est la meilleure des dissuasions à l’avortement – nous paraît si essentielle que nous avons prévu d’en faire une obligation, sous peine de fermeture administrative, à la charge des établissements où se feraient les interruptions de grossesse. Les deux entretiens qu’elle aura eus, ainsi que le délai de réflexion de huit jours qui lui sera imposé, ont paru indispensables pour faire prendre conscience à la femme de ce qu’il ne s’agit pas d’un acte normal ou banal, mais d’une décision grave qui ne peut être prise sans en avoir pesé les conséquences et qu’il convient d’éviter à tout prix. Ce n’est qu’après cette prise de conscience, et dans le cas où la femme n’aurait pas renoncé à sa décision, que l’interruption de grossesse pourrait avoir lieu. Cette intervention ne doit toutefois pas être pratiquée sans de strictes garanties médicales pour la femme elle-même et c’est le troisième objectif du projet de loi : protéger la femme.
Tout d’abord, l’interruption de grossesse ne peut être que précoce, parce que ses risques physiques et psychiques, qui ne sont jamais nuls, deviennent trop sérieux après la fin de la dixième semaine qui suit la conception pour que l’on permette aux femmes de s’y exposer.
Ensuite, l’interruption de grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin, comme c’est la règle dans tous les pays qui ont modifié leur législation dans ce domaine. Mais il va de soi qu’aucun médecin ou auxiliaire médical ne sera jamais tenu d’y participer.
Enfin, pour donner plus de sécurité à la femme, l’intervention ne sera permise qu’en milieu hospitalier, public ou privé.
Il ne faut pas dissimuler que le respect de ces dispositions que le gouvernement juge essentielles, et qui restent sanctionnées par les pénalités prévues à l’article 317 du code pénal maintenues en vigueur à cet égard, implique une sérieuse remise en ordre que le gouvernement entend mener à bien. Il sera mis fin à des pratiques qui ont reçu récemment une fâcheuse publicité et qui ne pourront plus être tolérées dès lors que les femmes auront la possibilité de recourir légalement à des interventions accomplies dans de réelles conditions de sécurité. De même, le gouvernement est décidé à appliquer fermement les dispositions nouvelles qui remplaceront celles de la loi de 1920 en matière de propagande et de publicité. Contrairement à ce qui est dit ici ou là, le projet n’interdit pas de donner des informations sur la loi et sur l’avortement ; il interdit l’incitation à l’avortement par quelque moyen que ce soit car cette incitation reste inadmissible.
Cette fermeté, le gouvernement la montrera encore en ne permettant pas que l’interruption de grossesse donne lieu à des profits choquants ; les honoraires et les frais d’hospitalisation ne devront pas dépasser des plafonds fixés par décision administrative en vertu de la législation relative aux prix. Dans le même souci, et pour éviter de tomber dans les abus constatés dans certains pays, les étrangères devront justifier de conditions de résidence pour que leur grossesse puisse être interrompue.
Je voudrais enfin expliquer l’option prise par le gouvernement, qui a été critiquée par certains , sur le non-remboursement de l’interruption de grossesse par la Sécurité sociale.
Lorsque l’on sait que les soins dentaires, les vaccinations non obligatoires, les verres correcteurs ne sont pas ou sont encore très incomplètement remboursés par la Sécurité sociale, comment faire comprendre que l’interruption de grossesse soit, elle, remboursée ? Si l’on s’en tient aux principes généraux de la Sécurité sociale, l’interruption de grossesse, lorsqu’elle n’est pas thérapeutique, n’a pas à être prise en charge. Faut-il faire exception à ce principe ? Nous ne le pensons pas, car il nous a paru nécessaire de souligner la gravité d’un acte qui doit rester exceptionnel, même s’il entraîne dans certains cas une charge financière pour les femmes. Ce qu’il faut, c’est que l’absence de ressources ne puisse pas empêcher une femme de demander une interruption de grossesse lorsque cela se révèle indispensable ; c’est pourquoi l’aide médicale a été prévue pour les plus démunies. Ce qu’il faut aussi, c’est bien marquer la différence entre la contraception qui, lorsque les femmes ne désirent pas un enfant, doit être encouragée par tous les moyens et dont le remboursement par la Sécurité sociale vient d’être décidé, et l’avortement que la société tolère mais qu’elle ne saurait ni prendre en charge ni encourager.
Rares sont les femmes qui ne désirent pas d’enfant ; la maternité fait partie de l’accomplissement de leur vie et celles qui n’ont pas connu ce bonheur en souffrent profondément. Si l’enfant une fois né est rarement rejeté et donne à sa mère, avec son premier sourire, les plus grandes joies qu’elle puisse connaître, certaines femmes se sentent incapables, en raison de difficultés très graves qu’elles connaissent à un moment de leur existence, d’apporter à un enfant l’équilibre affectif et la sollicitude qu’elles lui doivent. A ce moment, elles feront tout pour l’éviter ou ne pas le garder. Et personne ne pourra les en empêcher. Mais les mêmes femmes, quelques mois plus tard, leur vie affective ou matérielle s’étant transformée, seront les premières à souhaiter un enfant et deviendront peut-être les mères les plus attentives. C’est pour celles-là que nous voulons mettre fin à l’avortement clandestin, auquel elles ne manqueraient pas de recourir, au risque de rester stériles ou atteintes au plus profond d’elles-mêmes.
J’en arrive au terme de mon exposé. Volontairement, j’ai préféré m’expliquer sur la philosophie générale du projet plutôt que sur le détail de ses dispositions que nous examinerons à loisir au cours de la discussion des articles.
Je sais qu’un certain nombre d’entre vous estimeront en conscience qu’ils ne peuvent voter ce texte, pas davantage qu’aucune loi faisant sortir l’avortement de l’interdit et du clandestin. Ceux-là, j’espère les avoir au moins convaincus que ce projet est le fruit d’une réflexion honnête et approfondie sur tous les aspects du problème et que, si le gouvernement a pris la responsabilité de le soumettre au Parlement, ce n’est qu’après en avoir mesuré la portée immédiate aussi bien que les conséquences futures pour la nation Je ne leur donnerai qu’une preuve, c’est qu’usant d’une procédure tout à fait exceptionnelle en matière législative, le gouvernement vous propose d’en limiter l’application à cinq années. Ainsi dans l’hypothèse où il apparaîtrait au cours de ce laps de temps que la loi que vous auriez votée ne serait plus adaptée à l’évolution démographique ou au progrès médical, le Parlement aurait à se prononcer à nouveau dans cinq ans en tenant compte de ces nouvelles données.
D’autres hésitent encore. Ils sont conscients de la détresse de trop de femmes et souhaitent leur venir en aide ; ils craignent toutefois les effets et les conséquences de la loi. A ceux-ci je veux dire que, si la loi est générale et donc abstraite, elle est faite pour s’appliquer à des situations individuelles souvent angoissantes ; que si elle n’interdit plus, elle ne crée aucun droit à l’avortement et que, comme le disait Montesquieu : 'La nature des lois humaines est d’être soumise à tous les accidents qui arrivent et de varier à mesure que les volontés des hommes changent. Au contraire, la nature des lois de la religion est de ne varier jamais. Les lois humaines statuent sur le bien, la religion sur le meilleur.' C’est bien dans cet esprit que depuis une dizaine d’années, grâce au président de votre commission des Lois, avec lequel j’ai eu l’honneur de collaborer lorsqu’il était garde des Sceaux, a été rajeuni et transformé notre prestigieux code civil. Certains ont craint alors qu’en prenant acte d’une nouvelle image de la famille, on ne contribue à la détériorer. Il n’en a rien été et notre pays peut s’honorer d’une législation civile désormais plus juste, plus humaine, mieux adaptée à la société dans laquelle nous vivons. Je sais que le problème dont nous débattons aujourd’hui concerne des questions infiniment plus graves et qui troublent beaucoup plus la conscience de chacun. Mais en définitive il s’agit aussi d’un problème de société.
Je voudrais enfin vous dire ceci : au cours de la discussion, je défendrai ce texte, au nom du gouvernement, sans arrière-pensée, et avec toute ma conviction, mais il est vrai que personne ne peut éprouver une satisfaction profonde à défendre un tel texte – le meilleur possible à mon avis – sur un tel sujet : personne n’a jamais contesté, et le ministre de la Santé moins que quiconque, que l’avortement soit un échec quand il n’est pas un drame.
Mais nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les trois cent mille avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours.
L’histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays.
Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir.
Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l’avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême."
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Après quelque vingt-cinq heures de débats animés par 74 orateurs, la loi est finalement adoptée par l'Assemblée le 29 novembre 1974 à 3h40 du matin par 284 voix contre 189, grâce à la quasi-totalité des votes des députés des partis de la gauche et du centre, et malgré l'opposition de la majeure partie des députés de la droite, dont est pourtant issu le gouvernement dont fait partie Simone Veil.
La loi a été promulguée le 17 janvier 1975, pour 5 ans à titre expérimental.
Elle a été reconduite sans limite de temps par une loi du 31 décembre 1979.
Nommée d'après Simone Veil, qui l'a impulsée, cette loi complète alors la loi Neuwirth, qui légalisait la contraception à partir de 1972